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VIE DE VOLTAIRE.


théâtre, portant la queue du grand prêtre. La maréchale de Villars demanda qui était ce jeune homme qui voulait faire tomber la pièce. On lui dit que c’était l’auteur. Cette étourderie, qui annonçait un homme si supérieur aux petitesses de l’amour-propre, lui inspira le désir de le connaître. Voltaire, admis dans sa société, eut pour elle une passion, la première et la plus sérieuse qu’il ait éprouvée. Elle ne fut pas heureuse, et l’enleva pendant assez longtemps à l’étude, qui était déjà son premier besoin ; il n’en parla jamais depuis qu’avec le sentiment du regret et presque du remords.

Délivré de son amour, il continua la Henriade, et fit la tragédie d'Artémire. Une actrice formée par lui, et devenue à la fois sa maîtresse et son élève, joua le principal rôle. Le public, qui avait été juste pour Œdipe, fut au moins sévère pour Artémire ; effet ordinaire de tout premier succès. Une aversion secrète pour une supériorité reconnue n’en est pas la seule cause, mais elle sait profiter d’un sentiment naturel qui nous rend d’autant moins faciles que nous espérons davantage.

Cette tragédie ne valut à Voltaire que la permission de revenir à Paris, dont une nouvelle calomnie et ses liaisons avec les ennemis du régent, et entre autres avec le duc de Richelieu et le fameux baron de Gortz, l’avaient fait éloigner. Ainsi cet ambitieux, dont les vastes projets embrassaient l’Europe et menaçaient de la bouleverser, avait choisi pour ami, et presque pour confident, un jeune poète : c’est que les hommes supérieurs se devinent et se cherchent,