sensible, où l’on veut s’occuper des intérêts de la
société sans se donner la peine de les étudier, et
pouvoir parler de la nature, sans s’asservir au travail
pénible de l’observer ; où l’on confond la singularité
des opinions avec la philosophie, et où l’on se croit
au-dessus des préjugés, parce qu’on préfère des rêves
nouveaux aux rêves de nos pères : dans un tel siècle,
les mauvais drames, les livres extravagants en politique,
les systèmes vagues d’histoire naturelle, les
paradoxes doivent devenir communs ; il n’est pas
étonnant qu’ils aient excité la bile de M. de Voltaire.
Mais ces sottises sont une suite nécessaire de ce
sentiment d’humanité, fruit précieux de la philosophie,
et que M. de Voltaire a contribué, plus que
personne, à répandre en Europe ; de l’importance
que les hommes savent attacher enfin à leurs véritables
intérêts, à la connaissance de leurs droits et
des sources du bonheur public ; enfin, du goût général
pour les sciences naturelles, et pour une philosophie
fondée sur la raison seule, et délivrée du
joug de l’autorité et des systèmes. Ce mal, dont il se
plaint, n’est que l’abus du bien que lui-même avait
fait.
On le voit alternativement, tantôt relever son siècle, tantôt le traiter avec mépris, selon qu’il était le plus frappé, ou des progrès de la raison, ou du succès éphémère de quelques extravagances.
Il ne faut point cependant l’accuser de contradiction : c’est un père qui emploie avec ses enfants, tantôt l’encouragement, et tantôt le reproche.