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LE MONDAIN.


dans tout pays où la culture n’augmente point, la population ne peut augmenter.

Il faut donc que les hommes puissent acquérir en propriété plus que le nécessaire, et que cette propriété soit respectée, pour que la société soit florissante. L’inégalité des fortunes, et par conséquent le luxe, y est donc utile.

On voit, d’un autre côté, que moins cette inégalité est grande, plus la société est heureuse. Il faut donc que les lois, en laissant à chacun la liberté d’acquérir des richesses et de jouir de celles qu’il possède, tendent à diminuer l’inégalité : mais si elles établissent le partage égal des successions ; si elles n’étendent point trop la permission de tester ; si elles laissent au commerce, aux professions de l’industrie toute leur liberté naturelle ; si une administration simple d’impôts rend impossibles les grandes fortunes de finance ; si aucune grande place n’est ni héréditaire, ni lucrative, dès lors il ne peut s’établir une grande inégalité ; en sorte que l’intérêt de la prospérité publique est ici d’accord avec la raison, la nature et la justice.

Si l’on suppose une grande inégalité établie, le luxe n’est point un mal ; en effet, le luxe diminue en grande partie les effets de cette inégalité, en faisant vivre les pauvres aux dépens des fantaisies du riche. Il vaut mieux qu’un homme qui a cent mille écus de rente nourrisse des doreurs, des brodeuses ou des peintres, que s’il employait son superflu, comme les anciens Romains, à se faire des créatures, ou bien, comme nos anciens seigneurs, à entrete-