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SUR LA LOI NATURELLE.


changera pas leur ordre d’une manière sensible, dans un temps même infini : cela est encore plus vrai pour les systèmes de corps qui, après un petit dérangement, reviennent à l’équilibre. L’ordre du monde peut être changé par la seule différence d’un mouvement que j’aurai fait à droite ou à gauche, mais il peut aussi ne pas l’être.

M. Rousseau proposait, dans cette même lettre, d’exclure de la tolérance universelle toute opinion intolérante. Cette maxime séduit par un faux air de justice : mais M. de Voltaire n’eût pas voulu l’admettre. Les lois, en effet, ne doivent avoir d’empire que sur les actions extérieures : elles doivent punir un homme pour avoir persécuté, mais non pour avoir prétendu que la persécution est ordonnée par Dieu même. Ce n’est pas pour avoir eu des idées extravagantes, mais pour avoir fait des actions de folie, que la société a le droit de priver un homme de sa liberté. Ainsi, sous aucun point de vue, une opinion qui ne s’est manifestée que par des raisonnements généraux, même imprimés, ne pouvant être regardée comme une action, elle ne peut jamais être l’objet d’une loi.

Le seul reproche fondé qu’on puisse faire à M. de Voltaire, serait d’avoir exagéré les maux de l’humanité ; mais, s’il les a sentis comme il les a peints dans l’instant où il a écrit son poème, il a eu raison. Le devoir d’un écrivain n’est pas de dire des choses qu’il croit agréables ou consolantes, mais de dire des choses vraies : d’ailleurs, la doctrine que tout est bien est aussi décourageante que celle de la fatalité. On