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VIE DE VOLTAIRE.

craties, ont un intérêt présent de régner sur un peuple doux, et de commander à des hommes éclairés. Ne les avertissons pas qu’ils peuvent avoir un intérêt plus éloigné à laisser les hommes dans l’abrutissement. Ne les obligeons pas à choisir entre l’intérêt de leur orgueil, et celui de leur repos et de leur gloire. Pour leur faire aimer la raison, il faut qu’elle se montre à eux toujours douce, toujours paisible ; qu’en demandant leur appui, elle leur offre le sien, loin de les effrayer par des menaces imprudentes. En attaquant les oppresseurs avant d’avoir éclairé les citoyens, on risquera de perdre la liberté et d’étouffer la raison. L’histoire offre la preuve de cette vérité. Combien de fois, malgré les généreux efforts des amis de la liberté, une seule bataille n’a-t-elle pas réduit des nations à une servitude de plusieurs siècles ?

De quelle liberté même ont joui les nations qui l’ont recouvrée par la violence des armes, et non par la force de la raison ? d’une liberté passagère, et tellement troublée par des orages, qu’on peut presque douter qu’elle ait été pour elles un véritable avantage. Presque toutes n’ont-elles pas confondu les formes républicaines avec la jouissance de leurs droits, et la tyrannie de plusieurs avec la liberté ? Combien de lois injustes et contraires aux droits de la nature, ont déshonoré le code de toutes les nations qui ont recouvré leur liberté dans les siècles où la raison était encore dans l’enfance ?

Pourquoi ne pas profiter de cette expérience funeste, et savoir attendre des progrès des lumières