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VIE DE VOLTAIRE.


point la naissance d’un homme de lettres, à moins qu’un reste de conscience, qu’elle ne peut étouffer, ne lui apprenne qu’elle ne parviendra point à diminuer sa gloire personnelle.

La fortune dont jouissait M. Arouet procura deux grands avantages à son fils : d’abord celui d’une éducation soignée, sans laquelle le génie n’atteint jamais la hauteur où il aurait pu s’élever. Si on parcourt l’histoire moderne, on verra que tous les hommes du premier ordre, tous ceux dont les ouvrages ont approché de la perfection, n’avaient pas eu à réparer le défaut d’une première éducation.

L’avantage de naître avec une fortune indépendante n’est pas moins précieux. Jamais M. de Voltaire n’éprouva le malheur d’être obligé ni de renoncer à sa liberté pour assurer sa subsistance, ni de soumettre son génie à un travail commandé par la nécessité de vivre, ni de ménager les préjugés ou les passions d’un protecteur. Ainsi son esprit ne fut point enchaîné par cette habitude de la crainte, qui non-seulement empêche de produire, mais imprime à toutes les productions un caractère d’incertitude et de faiblesse. Sa jeunesse, à l’abri des inquiétudes de la pauvreté, ne l’exposa point à contracter ou cette timidité servile que fait naître dans une âme faible le besoin habituel des autres hommes, ou cette âpreté, et cette inquiète et soupçonneuse irritabilité, suite infaillible pour les âmes fortes de l’opposition entre la dépendance à laquelle la nécessité les soumet, et la liberté que demandent les grandes pensées qui les occupent.