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VIE DE VOLTAIRE.


laient trop de leur amour, qu’il fallait les offrir sur le théâtre comme elles sont dans la société, ne montrant d’abord leur passion que par les efforts qu’elles font pour la cacher, et ne s’y abandonnant que dans les moments où l’excès du danger et du malheur ne permet plus de rien ménager. Il croyait que des hommes simples, grands par leur seul caractère, étrangers à l’intérêt et à l’ambition, pouvaient offrir une source de beautés nouvelles, donner à la tragédie plus de variété et de vérité. Mais il était trop faible pour exécuter ce qu’il avait conçu ; et si l’on excepte le rôle du père d'Irène, ses dernières tragédies sont plutôt des leçons que des modèles.

Si donc un homme de génie dans les arts, est surtout celui qui, en les enrichissant de nouveaux chefs-d’œuvre, en a reculé les bornes, quel homme a plus mérité que Voltaire ce titre, qui lui a été cependant refusé par des écrivains, la plupart trop éloignés d’avoir du génie pour sentir ce qui en est le vrai caractère ?

C’est à Voltaire que nous devons d’avoir conçu l’histoire sous un point de vue plus vaste, plus utile que les anciens. C’est dans ses écrits qu’elle est devenue, non le récit des événements, le tableau des révolutions d’un peuple, mais celui de la nature humaine, tracé d’après les faits ; mais le résultat philosophique de l’expérience de tous les siècles et de toutes les nations. C’est lui qui le premier a introduit dans l’histoire la véritable critique, qui a montré le premier que la probabilité naturelle des événements devait entrer dans la balance avec la probabilité des