Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 4.djvu/185

Cette page n’a pas encore été corrigée
171
VIE DE VOLTAIRE.


dans Locke et dans Sidney que dans Montesquieu.

Voltaire a souvent critiqué l'Esprit des Lois mais presque toujours avec justice ; et ce qui prouve qu’il a eu raison de combattre Montesquieu, c’est que nous voyons aujourd’hui les préjugés les plus absurdes et les plus funestes s’appuyer de l’autorité de cet homme célèbre, et que, si le progrès des lumières n’avait enfin brisé le joug de toute espèce d’autorité dans les questions qui ne doivent être soumises qu’à la raison, l’ouvrage de Montesquieu ferait aujourd’hui plus de mal à la France qu’il n’a pu faire de bien à l’Europe. L’enthousiasme de ses partisans a été porté jusqu’à dire que Voltaire n’était pas en état de le juger, ni même de l’entendre. Irrité du ton de ces critiques, il a pu mêler quelque teinte d’humeur à ses justes observations. N’est-elle pas justifiée par une hauteur si ridicule ?

La mode d’accuser Voltaire de jalousie était même parvenue au point que l’on attribuait à ce sentiment, et ses sages observations sur l’ouvrage d’Helvétius, que par respect pour un philosophe persécuté il avait eu la délicatesse de ne publier qu’après sa mort, et jusqu’à sa colère contre le succès éphémère de quelques mauvaises tragédies : comme si on ne pouvait être blessé, sans aucun retour sur soi-même, de ces réputations usurpées, souvent si funestes aux progrès des arts et de la philosophie ! Combien, dans un autre genre, les louanges prodiguées à Richelieu, à Colbert et quelques autres ministres, n’ont-elles pas arrêté la marche de la raison dans les sciences politiques !