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VIE DE VOLTAIRE.


plus assez de gloire à détruire les autels, essayait vainement de les relever ?

Voltaire ne rendit pas justice aux talents de Rousseau, parce que son esprit juste et naturel avait une répugnance involontaire pour les opinions exagérées ; que le ton de l’austérité lui présentait une teinte d’hypocrisie dont la moindre nuance devait révolter son âme indépendante et franche ; qu’enfin, accoutumé à répandre la plaisanterie sur tous les objets, la gravité dans les petits détails des passions, ou de la vie humaine, lui paraissait toujours un peu ridicule. Il fut injuste, parce que Rousseau l’avait irrité en répondant, par des injures, à des offres de service, parce que Rousseau, en l’accusant de le persécuter lorsqu’il prenait sa défense, se permettait de le dénoncer lui-même aux persécuteurs.

Il était jaloux de Montesquieu : mais il avait à se plaindre de l’auteur de l’Esprit des Lois, qui affectait pour lui de l’indifférence et presque du mépris, moitié par une morgue maladroite, moitié par une politique timide ; et cependant ce mot célèbre de Voltaire : L’humanité avait perdu ses titres, Montesquieu les a retrouvés et les lui a rendus, est encore le plus bel éloge de l'Esprit des Lois ; et ce mot passe même les bornes de la justice. Il n’est vrai du moins que pour la France, puisque, sans parler des ouvrages d’Althusius [1] et de quelques autres, les droits de l’humanité sont réclamés avec plus de force et de franchise

  1. Jurisconsulte allemand du XVIe siècle. Il soutenait, dès ce temps-là, que la souveraineté des États appartient au peuple.