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VIE DE VOLTAIRE.


à D’Alembert, troublée rarement par des nuages passagers, ne se termina que par la mort. On voit dans ses ouvrages que peu d’hommes sensibles ont conservé aussi longtemps que lui le souvenir des amis qu’ils ont perdus dans la jeunesse.

On lui a reproché ses nombreuses querelles ; mais dans aucune il n’a été l’agresseur ; mais ses ennemis, ceux du moins pour lesquels il fut irréconciliable, ceux qu’il dévoua au mépris public, ne s’étaient pas bornés à des attaques personnelles ; ils s’étaient rendus ses délateurs auprès des fanatiques, et avaient voulu appeler sur sa tête le glaive de la persécution. Il est affligeant sans doute d’être obligé de placer dans cette liste des hommes d’un mérite réel : le poète Rousseau, les deux Pompignan [1], Larcher, et même Rousseau de Genève. Mais n’est-il pas plus excusable de porter trop loin, dans sa vengeance, les droits de la défense naturelle, et d’être injuste en cédant à une colère dont le motif est légitime, que de violer les lois de l’humanité en compromettant les droits, la liberté, la sûreté d’un citoyen, pour

  1. L’un d’eux vient d’effacer, par une conduite noble et patriotique, les taches que ses délations épiscopales avaient répandues sur sa vie. On le voit adopter aujourd’hui, avec courage les mêmes principes de liberté que dans ses ouvrages il reprochait avec amertume aux philosophes, et contre lesquels il invoquait la vengeance du despotisme. On se tromperait, si, d’après cette contradiction, on l’accusait de mauvaise foi. Rien n’est plus commun que des hommes qui, joignant à une âme honnête et à un sens droit, un esprit timide, n’osent examiner certains principes, ni penser d’après eux-mêmes, sur certains objets, avant de se sentir appuyés par l’opinion.