Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 4.djvu/174

Cette page n’a pas encore été corrigée
160
VIE DE VOLTAIRE.


ses confrères, pour montrer combien il était facile d’exécuter ce plan, il voulait en peu de mois terminer la partie dont il s’était chargé.

Tant de travaux avaient épuisé ses forces. Un crachement de sang, causé par les efforts qu’il avait faits pendant les répétitions d'Irène, l’avait affaibli. Cependant l’activité de son âme suffisait à tout, et lui cachait sa faiblesse réelle. Enfin, privé du sommeil par l’effet de l’irritation d’un travail trop continu, il voulut s’en assurer quelques heures pour être en état de faire adopter à l’Académie, d’une manière irrévocable, le plan du Dictionnaire, contre lequel quelques objections s’étaient élevées ; et il résolut de prendre de l’opium. Son esprit avait toute sa force ; son âme, toute son impétuosité et toute sa mobilité naturelle ; son caractère, toute son activité et toute sa gaieté, lorsqu’il prit le calmant qu’il croyait nécessaire. Ses amis l’avaient vu se livrer, dans la soirée même, à toute sa haine contre les préjugés, l’exhaler avec éloquence, et bientôt après ne plus les envisager que du côté ridicule, s’en moquer avec cette grâce et ces rapprochements singuliers qui caractérisaient ses plaisanteries. Mais il prit de l’opium à plusieurs reprises, et se trompa sur les doses, vraisemblablement dans l’espèce d’ivresse que les premières avaient produite. Le même accident lui était arrivé près de trente ans auparavant, et avait fait craindre pour sa vie. Cette fois, ses forces épuisées ne suffirent point pour combattre le poison. Depuis longtemps il souffrait des douleurs de vessie, et dans l’affaiblissement général de ses organes, celui