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VIE DE VOLTAIRE.

mais digne aussi de pitié. Il avait honoré la philosophie par le génie de la physique, comme Voltaire par celui de la poésie. Franklin achevait de délivrer les vastes contrées de l’Amérique du joug de l’Europe et Voltaire de délivrer l’Europe du joug des anciennes théocraties de l’Asie. Franklin s’empressa de voir un homme dont la gloire occupait depuis longtemps les deux mondes : Voltaire, quoiqu’il eût perdu l’habitude de parler anglais, essaya de soutenir la conversation dans cette langue, puis bientôt reprenant la sienne : Je n’ai pu résister au désir de parler un moment la langue de M. Framklin.

Le philosophe américain lui présenta son petit-fils, en demandant pour lui sa bénédiction : God and Liberty [1], dit Voltaire, voila la seule bénédiction qui convienne au petit-fils de M. Franklin. Ils se revirent à une séance publique de l’Académie des sciences ; le public contemplait avec attendrissement, placés à côté l’un de l’autre, ces deux hommes nés dans des mondes différents, respectables par leur vieillesse, par leur gloire, par l’emploi de leur vie, et jouissant tous deux de l’influence qu’ils avaient exercée sur leur siècle. Ils s’embrassèrent au bruit des acclamations ; on a dit que c’était Solon qui embrassait Sophocle. Mais le Sophocle français avait détruit l’erreur, et avancé le règne de la raison ; et le Solon de Philadelphie, appuyant sur la base inébranlable des droits des hommes, la constitution de son pays, n’avait point à craindre de voir, pendant sa

  1. Dieu et la Liberté.