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VIE DE VOLTAIRE.


dans leur société sans bassesse, et qui se plaisaient à humilier en lui la supériorité de l’esprit et des talents, briguaient l’honneur de lui être présentés, et de pouvoir se vanter de l’avoir vu.

C’était au théâtre où il avait régné si longtemps, qu’il devait attendre les plus grands honneurs. Il vint à la troisième représentation d’Irène, pièce faible, à la vérité, mais remplie de beautés, et où les rides de l’âge laissaient voir encore l’empreinte sacrée du génie. Lui seul attira les regards d’un peuple avide de démêler ses traits, de suivre ses mouvements, d’observer ses gestes. Son buste fut couronné sur le théâtre au milieu des applaudissements, des cris de joie, des larmes d’enthousiasme et d’attendrissement. Il fut obligé, pour sortir, de percer la foule entassée sur son passage ; faible, se soutenant à peine ; les gardes qu’on lui avait donnés pour l’aider lui étaient inutiles ; à son approche on se retirait avec une respectueuse tendresse ; chacun se disputait la gloire de l’avoir soutenu un moment sur l’escalier ; chaque marche lui offrait un secours nouveau, et on ne souffrait pas que personne s’arrogeât le droit de le soutenir trop longtemps.

Les spectateurs le suivirent jusque dans son appartement : les cris de vive Voltaire, vive la Henriade, vive Mahomet, vive la Pucelle, retentissaient autour de lui. On se précipitait à ses pieds, on baisait ses vêtements. Jamais homme n’a reçu des marques plus touchantes de l’admiration, de la tendresse publique ; jamais le génie n’a été honoré par un hommage plus flatteur. Ce n’était point à sa puissance,