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VIE DE VOLTAIRE.

Les grands, les gens en place, ont des intérêts, et rarement des opinions : combattre celle qui convient à leurs projets actuels, c’est, à leurs yeux, se déclarer contre eux. Cet attachement à la vérité, une des plus fortes passions des esprits élevés et des âmes indépendantes, n’est pour eux qu’un sentiment chimérique. Ils croient qu’un raisonneur, un philosophe, n’a, comme eux, que des opinions du moment, professe ce qu’il veut, parce qu’il ne tient fortement à rien, et doit, par conséquent, changer de principes, suivant les intérêts passagers de ses amis ou de ses bienfaiteurs. Ils le regardent comme un homme fait pour défendre la cause qu’ils ont embrassée, et non pour soutenir ses principes personnels ; pour servir sous eux, et non pour juger de la justice de la guerre. Aussi le duc de Choiseul et ses amis paraissaient-ils croire que Voltaire aurait dû, par respect pour lui, ou trahir ou cacher ses opinions sur des questions de droit public ; anecdote curieuse, qui prouve à quel point l’orgueil de la grandeur ou de la naissance peut faire oublier l’indépendance naturelle de l’esprit humain, et l’inégalité des esprits et des talents, plus réelle que celle des rangs et des places.

Voltaire voyait avec plaisir la destruction de la vénalité, celle des épices, la diminution du ressort immense du parlement de Paris ; abus qu’il combattait par le raisonnement et le ridicule depuis plus de quarante années. Il préférait un seul maître à plusieurs, un souverain dont on ne peut craindre que les préjugés, à une troupe de despotes dont les pré-