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VIE DE VOLTAIRE.

raient pu tirer de cette scène singulière, en falsifiant la déclaration que Voltaire avait donnée.

Il n’avait plus alors sa retraite auprès de Genève. Il s’était lié à son arrivée avec les familles qui, par leur éducation, leurs opinions, leurs goûts et leur fortune, étaient plus rapprochées de lui ; et ces familles avaient alors le projet d’établir une espèce d’aristocratie. Dans une ville sans territoire, où la force des citoyens peut se réunir avec autant de facilité et de promptitude que celle du gouvernement, un tel projet eut été absurde, si les citoyens riches n’avaient eu l’espérance d’employer en leur faveur une influence étrangère.

Les cabinets de Versailles et de Turin furent aisément séduits. Le sénat de Berne, intéressé à éloigner des yeux de ses sujets le spectacle de l’égalité républicaine, a pour politique constante de protéger autour de lui toutes les entreprises aristocratiques ; et partout, dans la Suisse, les magistrats oppresseurs sont sûrs de trouver en lui un protecteur ardent et fidèle : ainsi le misérable orgueil d’obtenir dans une petite ville une autorité odieuse, et d’être haï sans être respecté, priva les citoyens de Genève de leur liberté, et la république de son indépendance. Les chefs du parti populaire employèrent l’arme du fanatisme, parce qu’ils avaient assez lu pour savoir quelle influence la religion avait eue autrefois dans les dissensions politiques, et qu’ils ne connaissaient pas assez leur siècle pour sentir jusqu’à quel point la raison, aidée du ridicule, avait émoussé cette arme jadis si dangereuse.