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VIE DE VOLTAIRE.


la mort du chevalier de la Barre, forcé de reconnaître ce pouvoir, indépendant des places, que la nature a donné au génie pour la consolation et la défense de l’humanité, écrivit une lettre où, partagé entre la honte et l’orgueil, il s’excusait en laissant échapper des menaces ; Voltaire lui répondit par ce trait de l’histoire chinoise : Je vous défends, disait un empereur au chef du tribunal de l’histoire, de parler davantage de moi. Le mandarin se mit à écrire. Que faites-vous donc ? dit l’empereur. J'écris l’ordre que Votre Majesté vient de me donner.

Pendant douze années que Voltaire survécut à cette injustice, il ne perdit point de vue l’espérance d’en obtenir la réparation ; mais il ne put avoir la consolation de réussir. La crainte de blesser le parlement de Paris l’emporta toujours sur l’amour de la justice, et dans les moments où les chefs du ministère avaient un intérêt contraire, celle de déplaire au clergé les arrêta. Les gouvernements ne savent pas assez quelle considération leur donnent, et parmi le peuple qui leur est soumis, et auprès des nations étrangères, ces actes éclatants d’une justice particulière, et combien l’appui de l’opinion est plus sûr que les ménagements pour des corps rarement capables de reconnaissance, et auxquels il serait plus politique d’ôter, par ces grands exemples, une partie de leur autorité sur les esprits, que de l’augmenter en prouvant, par ces ménagements même, combien ils ont su inspirer de crainte.

Voltaire songeait cependant à conjurer l’orage, à se préparer les moyens d’y dérober sa tête : il dimi-