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VIE DE VOLTAIRE.

juste fut cassé ; il en apprit la nouvelle, ses forces se ranimèrent, et il écrivit : Je meurs content, je vois que le roi aime la justice ; derniers mots qu’ait tracés cette main qui avait si longtemps soutenu la cause de l’humanité et de la justice.

Dans la même année 1766, un autre arrêt étonna l’Europe, qui, en lisant les ouvrages de nos philosophes, croyait que les lumières étaient répandues en France, du moins dans les classes de la société où c’est un devoir de s’instruire, et qu’après plus de quinze années, les confrères de Montesquieu avaient eu le temps de se pénétrer de ses principes.

Un crucifix de bois, placé sur le pont d’Abbeville, fut insulté pendant la nuit. Le scandale du peuple fut exalté et prolongé par la cérémonie ridicule d’une amende honorable. L’évêque d’Amiens, gouverné dans sa vieillesse par des fanatiques, et n’étant plus en état de prévoir les suites de cette farce religieuse, y donna de l’éclat par sa présence. Cependant, la haine d’un bourgeois d’Abbeville dirigea les soupçons du peuple sur le chevalier de la Barre, jeune militaire, d’une famille de robe, alliée à la haute magistrature, et qui vivait alors chez une de ses parentes, abbesse de Villancourt, aux portes d’Abbeville. On instruisit le procès. Les juges d’Abbeville condamnèrent à des supplices dont l’horreur effrayerait l’imagination d’un cannibale, le chevalier de la Barre et d’Etallonde, son ami, qui avait eu la prudence de s’enfuir. Le chevalier de la Barre s’était exposé au jugement ; il avait plus à perdre en quittant la France, et comptait sur la protection de ses parents