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VIE DE VOLTAIRE.


qui lui serait plus utile de perdre ; un tel arrêt devait exciter l’indignation de tout ami de la justice, quand même les opprobres entassés sur la tête du malheureux général, et l’horrible barbarie de le traîner au supplice avec un bâillon, n’auraient pas fait frémir jusque dans leurs dernières fibres tous les cœurs que l’habitude de disposer de la vie des hommes n’avait pas endurcis.

Cependant Voltaire parla longtemps seul. Le grand nombre d’employés de la compagnie des Indes, intéressés à rejeter sur un homme qui n’existait plus, les suites funestes de leur conduite ; le tribunal puissant qui l’avait condamné ; tout ce que ce corps traîne à sa suite d’hommes dont la voix lui est vendue ; les autres corps qui, réunis avec lui par le même nom, des fonctions communes, des intérêts semblables, regardent sa cause comme la leur ; enfin le ministère honteux d’avoir eu la faiblesse ou la politique cruelle de sacrifier le comte de Lalli à l’espérance de cacher dans son tombeau les fautes qui avaient causé la perte de l’Inde ; tout semblait s’opposer à une justice tardive. Mais Voltaire, en revenant souvent sur ce même objet, triompha de la prévention et des intérêts attentifs à l’étendre et à la conserver. Les bons esprits n’eurent besoin que d’être avertis ; il entraîna les autres ; et lorsque le fils du comte de Lalli, si célèbre depuis par son éloquence et par son courage, eut atteint l’âge où il pouvait demander justice, les esprits étaient préparés pour y applaudir et pour la solliciter. Voltaire était mourant lorsque, après douze ans, cet arrêt in-