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VIE DE VOLTAIRE.

temps à reconnaître les progrès que l’art doit à Corneille, l’élévation extraordinaire de son esprit, la beauté presque inimitable de sa poésie dans les morceaux que son génie lui a inspirés, et ces mots profonds ou sublimes qui naissent subitement du fond des situations, ou qui peignent, d’un trait, de grands caractères.

La foule des littérateurs lui reprocha néanmoins d’avoir voulu avilir Corneille par une basse jalousie, tandis que partout, dans ce commentaire, il saisit, il semble chercher les occasions de répandre son admiration pour Racine, rival plus dangereux, qu’il n’a surpassé que dans quelques parties de l’art tragique, et dont, au milieu de sa gloire, il eût pu envier la perfection désespérante.

Cependant, tranquille dans sa retraite, occupé de continuer la guerre heureuse qu’il faisait aux préjugés. Voltaire voit arriver une famille infortunée dont le chef a été trainé sur la roue par des juges fanatiques, instruments des passions féroces d’un peuple superstitieux. Il apprend que Calas, vieillard infirme, a été accusé d’avoir pendu son fils, jeune et vigoureux, au milieu de sa famille, en présence d’une servante catholique ; qu’il avait été porté à ce crime, par la crainte de voir embrasser la religion catholique à ce fils qui passait sa vie dans les salles d’armes et dans les billards, et dont personne, au milieu de l’effervescence générale, ne put jamais citer un seul mot, une seule démarche qui annonçassent un pareil dessein ; tandis qu’un autre fils de Calas, déjà converti, jouissait d’une pension que ce père, très-peu