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VIE DE VOLTAIRE.

gère. Cette dédicace apprenait à ses ennemis que leurs calomnies ne compromettraient pas davantage sa sûreté que leurs critiques ne nuiraient à sa gloire ; et c’était mettre le comble à sa vengeance.

Cette même année, il apprend qu’une petite-nièce de Corneille languissait dans un état indigne de son nom : C’est le devoir du soldat de secourir la nièce de son général, s’écrie-t-il. Mademoiselle Corneille fut appelée à Ferney ; elle y reçut l’éducation qui convenait à l’état que sa naissance lui marquait dans la société. Voltaire porta même la délicatesse jusqu’à ne pas souffrir que l’établissement de mademoiselle Corneille parût un de ses bienfaits ; il voulut qu’elle le dût aux ouvrages de son oncle. Il en entreprit une édition avec des notes. Le créateur du théâtre français, commenté par celui qui avait porté ce théâtre à sa perfection ; un homme de génie, né dans un temps où le goût n’était pas encore formé, jugé par un rival qui joignait au génie le don presque aussi rare d’un goût sûr sans être sévère, délicat sans être timide, éclairé enfin par une longue et heureuse expérience de l’art, voilà ce qu’offrait cet ouvrage. Voltaire y parle des défauts de Corneille avec franchise, de ses beautés avec enthousiasme. Jamais on n’avait jugé Corneille avec tant de rigueur ; jamais on ne l’avait loué avec un sentiment plus profond et plus vrai. Occupé d’instruire et la jeunesse française et ceux des étrangers qui cultivent notre littérature, il ne pardonne point aux vices du langage, à l’exagération, aux fautes contre la bienséance ou contre le goût ; mais il apprend en même