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VIE DE VOLTAIRE.

et va cacher dans sa province son orgueil humilié et son ambition trompée : exemple effrayant, mais salutaire, du pouvoir du génie et des dangers de l’hypocrisie littéraire.

Fréron, ex-jésuite comme Desfontaines, lui avait succédé dans le métier de flatter, par des satires périodiques, l’envie des ennemis de la vérité, de la raison et des talents. Il s’était distingué dans la guerre contre les philosophes. Voltaire, qui depuis longtemps supportait ses injures, en fit justice et vengea ses amis. Il introduisit, dans la comédie de l'Écossaise, un journaliste méchant, calomniateur et vénal : le parterre y reconnut Fréron, qui, livré au mépris public dans une pièce que des scènes attendrissantes et le caractère original et piquant du bon et brusque Freeport devaient conserver au théâtre, fut condamné à traîner, le reste de sa vie, un nom ridicule et déshonoré. Fréron, en applaudissant à l’insulte faite aux philosophes, avait perdu le droit de se plaindre ; et ses protecteurs aimèrent mieux l’abandonner, que d’avouer une partialité trop révoltante.

D’autres ennemis moins acharnés avaient été ou corrigés ou punis ; et Voltaire, triomphant au milieu de ces victimes immolées à la raison et à sa gloire, envoya au théâtre, à soixante-six ans, le chef-d’œuvre de Tancrède. La pièce fut dédiée à la marquise de Pompadour. C’était le fruit de l’adresse avec laquelle Voltaire avait su, sans blesser le duc de Choiseul, venger les philosophes dont les adversaires avaient obtenu de ce ministre une protection passa-