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VIE DE VOLTAIRE.

Heureusement, l’honneur d’avoir donné l'Encyclopédie à l’Europe compensa pour la France la honte de l’avoir persécutée. Elle fut regardée, avec justice, comme l’ouvrage de la nation, et la persécution comme celui d’une jalousie ou d’une politique également méprisables.

Mais la guerre dont l'Encyclopédie était l’occasion, ne cessa point avec la proscription de l’ouvrage : ses principaux auteurs et leurs amis, désignés parle nom de philosophes et encyclopédistes, qui devenaient des injures dans la langue des ennemis de la raison, furent forcés de se réunir par la persécution même, et Voltaire se trouva naturellement leur chef, par son âge, par sa célébrité, son zèle et son génie. Il avait depuis longtemps des amis et un grand nombre d’admirateurs ; alors il eut un parti. La persécution rallia sous son étendard tous les hommes de quelque mérite, que peut-être sa supériorité aurait écartés de lui, comme elle en avait éloigné leurs prédécesseurs ; et l’enthousiasme prit enfin la place de l’ancienne injustice.

C’est dans l’année 1760 que cette guerre littéraire fut la plus vive. Le Franc de Pompignan, littérateur estimable et poète médiocre, dont il reste une belle strophe, et une tragédie faible où le génie de Virgile et de Métastase n’ont pu le soutenir, fut appelé à l’Académie française. Revêtu d’une charge de magistrature, il crut que sa dignité, autant que ses ouvrages, le dispensaient de toute reconnaissance ; il se permit d’insulter, dans son discours de réception, les hommes dont le nom faisait le plus d’honneur à