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VIE DE VOLTAIRE.

taire s’abandonne au sentiment de terreur et de mélancolie que ce malheur lui inspire ; il appelle au milieu de ces ruines sanglantes les tranquilles sectateurs de l’optimisme ; il combat leurs froides et puériles raisons avec l’indignation d’un philosophe profondément sensible aux maux de ses semblables ; il expose dans toute leur force les difficultés sur l’origine du mal, et avoue qu’il est impossible à l’homme de les résoudre. Ce poëme, dans lequel, à l’âge de plus de soixante ans, l’âme de Voltaire, échauffée par la passion de l’humanité, a toute la verve et tout le feu de la jeunesse, n’est pas le seul ouvrage qu’il voulut opposer à l’optimisme.

Il publia Candide, un de ses chefs-d’œuvre dans le genre des romans philosophiques, qu’il transporta d’Angleterre en France en le perfectionnant. Ce genre a le malheur de paraître facile ; mais il exige un talent rare, celui de savoir exprimer, par une plaisanterie, par un trait d’imagination, ou par les événements même du roman, les résultats d’une philosophie profonde, sans cesser d’être naturelle et piquante, sans cesser d’être vraie. Il faut donc choisir ceux de ces résultats qui n’ont besoin ni de développements, ni de preuves, éviter à la fois, et ce qui étant commun ne vaut pas la peine d’être répété, et ce qui étant, ou trop abstrait ou trop neuf encore, n’est fait que pour un petit nombre d’esprits. Il faut être philosophe, et ne point le paraître.

En même temps peu de livres de philosophie sont plus utiles ; ils sont lus par des hommes frivoles