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VIE DE VOLTAIRE.


à l’imagination, et présente l’idée d’une force d’âme extraordinaire. Voltaire vainquit, pour la seconde fois, cette difficulté. L’amour de Gengis-Kan intéresse, malgré la violence et la férocité de son caractère, parce que cet amour est vrai, passionné ; parce qu’il lui arrache l’aveu du vide que son cœur éprouve au milieu de sa puissance ; parce qu’il finit par sacrifier cet amour à sa gloire, et sa fureur des conquêtes au charme, nouveau pour lui, des vertus pacifiques.

Le repos de Voltaire fut bientôt troublé par la publication de la Pucelle.

Ce poëme, qui réunit la licence et la philosophie, où la vérité prend le masque d’une gaieté satirique et voluptueuse, commencé vers 1730, n’avait jamais été achevé. L’auteur en avait confié les premiers essais à un petit nombre de ses amis et à quelques princes. Le seul bruit de son existence lui avait attiré des menaces, et il avait pris, en ne l’achevant pas, le moyen le plus sûr d’éviter la tentation dangereuse de le rendre public. Malheureusement on laissa multiplier les copies ; une d’elles tomba entre des mains avides et ennemies, et l’ouvrage parut, non-seulement avec les défauts que l’auteur y avait laissés, mais avec des vers ajoutés par les éditeurs, et remplis de grossièretés de mauvais goût, de traits satiriques qui pouvaient compromettre la sûreté de Voltaire. L’amour du gain, le plaisir de faire attribuer leurs mauvais vers à un grand poëte, le plaisir plus méchant de l’exposer à la persécution, furent les motifs de cette infidélité, dont la Beaumelle et l’ex-capucin Maubert ont partagé l’honneur.