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VIE DE VOLTAIRE.

cher de la raison, et de ne plus chercher de ressources que dans la nature même. Cependant telle est la force de l’habitude, que le sacrifice de Zamti, fondé, à la vérité, sur des motifs plus nobles, plus puissants que celui de Léontine, expié par ses larmes, par ses regrets, avait séduit les spectateurs. A la première représentation de l'Orphelin, ces vers d’Idamé, si vrais, si philosophiques,


La nature et l’hymen, voilà les lois premières,
Les devoirs, les liens des nations entières ;
Ces lois viennent des dieux, le reste est des humains.


n’excitèrent d’abord que l’étonnement ; les spectateurs balancèrent, et le cri de la nature eut besoin de la réflexion pour se faire entendre. C’est ainsi qu’un grand poëte peut, quelquefois, décider les esprits flottants entre d’anciennes erreurs et les vérités qui, pour en prendre la place, attendent qu’un dernier coup achève de renverser la barrière chancelante que le préjugé leur oppose. Les hommes n’osent, souvent, s’avouer à eux-mêmes les progrès lents que la raison a faits dans leur esprit ; mais ils sont prêts à la suivre, si, en la leur présentant d’une manière vive et frappante, on les force à la reconnaître. Aussi ces mêmes vers n’ont plus été entendus qu’avec transport, et Voltaire eut le plaisir d’avoir vengé la nature.

Cette pièce est le triomphe de la vertu sur la force, et des lois sur les armes. Jusqu’alors, excepté dans Mahomet, on n’avait pu réussir à rendre amoureux, sans l’avilir, un de ces hommes dont le nom impose