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ÉLOGE DE M. D’ALEMBERT.


fit du mot d’encyclopédiste et de philosophe, le nom d’une secte à laquelle on imputa le projet de détruire la morale et d’ébranler les fondements de la paix publique ; tous ceux qu’on marquait de ces noms devaient être nécessairement de mauvais citoyens, parce qu’alors la France était ennemie d’un roi philosophe, qui, juste appréciateur du mérite, avait donné des témoignages publics d’estime à quelques-uns des auteurs de l’Encyclopédie.

Cette guerre littéraire (qui eut l’honneur de taire quelquefois oublier aux oisifs de Paris les malheurs d’une guerre plus importante) compromettait le repos de M. D’Alembert, et réunissait aux ennemis méprisables que son génie lui avait faits, d’autres ennemis dont il ne pouvait du moins mépriser le pouvoir. Le roi de Prusse lui offrit, après la paix de 1763, un asile dans sa cour, la place du président de son académie, une fortune fort au-dessus de ses désirs, mais que le plaisir qu’il goûtait à faire le bien pouvait rendre séduisante, enfin le repos et la liberté : M. d’Alembert refusa ces offres ; il préféra sa patrie, où il était pauvre et persécuté, à la cour d’un roi, qui, dépouillé de l’éclat du trône, eût encore mérité qu’un homme de génie recherchât sa société et son suffrage, et ce sacrifice lui coûta peu ; ses amis, la liberté de suivre ses recherches mathématiques, suffisaient à son bonheur, et il attendit tranquillement que le temps de l’injustice fût passé.

Ce monarque qui l’avait vu à Clèves avant la guerre, et qui alors lui avait proposé la survivance