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ÉLOGE DE M. D’ALEMBERT.


à raisonner juste, afin qu’après en avoir pris l’heureuse habitude, ils puissent avoir eux-mêmes le plaisir et la gloire de rompre les chaînes dont leur raison était opprimée, et de briser les idoles devant lesquelles ils étaient lassés de fléchir.

Il regardait l’amour de l’occupation, le goût du repos, celui de la vie privée, comme les barrières les plus sûres qu’on pût opposer aux vices ; il craignait que ceux qui aspirent à des vertus plus éclatantes ne se trompassent eux-mêmes, ou ne cherchassent à tromper les autres, et que l’amour trop inquiet du bien public ne fût souvent une ambition déguisée. Il était indulgent par philosophie comme par caractère, persuadé qu’il faut exiger peu des hommes, pour être plus sûr d’en obtenir ce qu’on exige ; leur prescrire seulement ce qu’on leur a montré, par son exemple, n’être pas au-dessus des forces humaines, et ne pas mettre l’estime publique, la satisfaction intérieure à trop haut prix, de peur que la plupart des hommes n’aiment mieux y renoncer que d’y prétendre.

Dans les différents travaux de l’esprit, il proscrivait avec sévérité tout ce qui ne tendait pas à la découverte des vérités positives, tout ce qui n’était pas d’une utilité immédiate. Un motif très-respectable, l’amour du vrai et celui du bien général, lui avait fait même exagérer un peu cette sévérité : en effet, il n’existe pas d’étude où l’on ne trouve du moins l’avantage d’employer le temps d’une manière qui n’est ni dangereuse pour soi, ni nuisible pour les autres : il en est du travail de l’esprit