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SUR LES PENSÉES DE PASCAL.


Falkland, dédaigna de recourir à aucun de ces vils moyens ; que jamais il n’intercepta une lettre ; que jamais il n’employa un espion : mais, malheureusement pour l’espèce humaine, cet exemple est unique jusqu’ici, et l’usage contraire, proscrit par la raison, par l’équité, par l’honneur, subsiste presque partout ; on l’exerce sans remords, et même sans honte. L’opinion flétrit, à la vérité, les espions subalternes ; mais elle s’arrête là, et elle ne dévoue pas à l’opprobre ceux qui les emploient, et qui, calomniant la nation auprès du prince, osent lui faire accroire que ces infâmes abus du pouvoir sont des précautions nécessaires !

Cela prouve, selon moi, que pour donner aux hommes une morale bien sûre et bien utile, il faut leur inspirer une horreur, pour ainsi dire machinale, de tout ce qui nuit à leurs semblables ; former leur âme de manière que le plaisir de faire le bien soit le premier de tous leurs plaisirs, et que le sentiment d’avoir fait leur devoir soit un dédommagement suffisant de tout ce qu’il leur en a pu coûter pour le remplir. Il faut allumer, dans ceux que l’enthousiasme des passions peut égarer, un enthousiasme pour la vertu, capable de les défendre. Alors, qu’on laisse à leur raison le soin de juger de ce qui est juste et de ce qui est injuste, et que leur conscience ne se repose pas sur un certain nombre de maximes de morale, adoptées dans le pays où ils naissent, ou sur un code dont une classe d’hommes, jalouse de régner sur les esprits, se soit réservé l’interprétation.