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REMARQUES


obligé, chaque année, d’aller chercher en Afrique de nouvelles victimes.

Et qu’on ne dise pas qu’en supprimant l’esclavage, le gouvernement violerait la propriété des colons ! Comment l’usage, ou même une loi positive, pourrait-elle jamais donner à un homme un véritable droit de propriété sur le travail, sur la liberté, sur l’être entier d’un autre homme innocent, et qui n’y a point consenti ? En déclarant les nègres libres, on n’ôterait pas au colon sa propriété, on l’empêcherait de faire un crime ; et l’argent qu’on a payé pour un crime n’a jamais donné le droit de le commettre.

On dit que les nègres sont paresseux ! Veut-on qu’ils trouvent du plaisir à travailler pour leurs tyrans ? Ils sont bas, fourbes, traîtres, sans mœurs : eh bien, ils ont tous les vices des esclaves, et c’est la servitude qui les leur a donnés. Rendez-les libres ; et, plus près que vous de la nature, ils vaudront beaucoup mieux que vous.

Ne pourrait-on pas, si on osait être juste tout à fait, changer l’esclavage personnel des nègres en un esclavage de la glèbe, tel que celui sous lequel gémissent encore les habitants d’une partie de l’Europe ? L’exécution de ce projet serait plus aisée ; le sort des nègres deviendrait plus supportable ; et cet ordre politique, une fois bien établi, serait aisément remplacé par une liberté entière ; il y aurait servi de degré ; il adoucirait ce passage de la servitude à la liberté, qui, sans cela, serait peut-être trop brusque.

Sait-on si la Sardaigne, et surtout la Sicile, ne