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ÉLOGE DE PASCAL.


nous reste de ses pensées, que le style de son ouvrage eût été conforme à cette règle. Les pensées énergiques et fortes y sont exprimées par des mots communs ; et ce qui blesserait dans un homme qui aurait moins de génie et de goût, devient, dans Pascal, piquant et sublime. Il n’a pas songé à l’harmonie : ses phrases ont une gravité, et quelquefois même une espèce d’aspérité convenable à l’austérité de son sujet. Jamais on n’a démêlé, avec plus de finesse, tous les détails de la corruption et de la vanité. Jamais on n’a su fouiller avec tant de profondeur dans le cœur de l’homme, et jamais un mépris plus froid et mieux exprimé n’a montré la supériorité du génie qui a su pénétrer sa propre misère.

Ces pensées n’ont pas été toutes imprimées. Les amis de Pascal en ont fait un choix dirigé malheureusement par les vues étroites de l’esprit de parti. Il serait à désirer qu’on en fit une nouvelle édition, où l’on imprimerait plusieurs de ces pensées qui ont été supprimées, soit par une fausse délicatesse pour la mémoire de Pascal, soit par politique ; mais il faudrait en retrancher un plus grand nombre, que les dévots éditeurs ont publiées, tout indignes qu’elles sont de Pascal.

S’il m’était permis de hasarder mon opinion sur le projet de cet homme célèbre, je dirais que ce projet me paraît digne de son génie. Persuadé de la vérité de la religion chrétienne, son but était moins de la prouver que de la faire croire. Il ne faisait pas à la nature humaine l’honneur de penser que,