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ÉLOGE DE PASCAL.


abattu sous tant de faiblesse, cet être misérable semble sentir que ce n’est point là son état naturel ; il cherche à en imposer à ses semblables par une fausse idée de sa force, et à se rendre maître, par l’opinion, de la force réunie de plusieurs. Il cherche à s’en imposer en s’efforçant de se distraire de lui-même ; de là naissent en lui l’amour des plaisirs et la vanité ; tout son bonheur, toute sa force se fondent sur l’erreur, et c’est la source de cette haine contre la vérité, fruit nécessaire de l’amour-propre.

Nous ne pouvons souffrir le bien qu’on nous fait en nous avertissant de nos défauts. Aussi la société n’est-elle qu’un commerce de fausseté et de dissimulation. On se brouillerait avec son meilleur ami, si on savait ce qu’il pense de nous, ou ce qu’il en dit, lorsqu’il en parle sans prévention ; et il n’y aurait pas quatre amis dans le monde, si tous les hommes savaient ce qu’ils disent les uns des autres.

Plaignons Pascal d’avoir assez peu senti l’amitié, pour croire qu’on peut juger son ami sans prévention, et de n’avoir connu des erreurs des hommes que celles qui les divisent, et non celles qui font qu’ils s’aiment davantage. Les éditeurs n’ont point imprimé la pensée que nous venons de citer ; elle aurait donné une trop mauvaise idée des amis de Pascal.

Ce mépris profond que Pascal sentait si fortement pour la bassesse et la fausseté humaine, il voulait l’inspirer à l’homme pour l’homme même. C’est là ce qu’il voulait opposer au sentiment que l’homme a de sa grandeur. En montrant ainsi, dans un con-