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ÉLOGE DE PASCAL.


devenu par les subtilités des casuistes, qui avaient étendu leurs doutes sur la légitimité de beaucoup d’actions, que le simple bon sens et la conscience abandonnée à ses mouvements n’auraient pas hésité à mettre au rang des crimes.

Pascal, en attaquant ces jésuites, si scandaleux et si sots, eut l’art de placer continuellement le ridicule à côté du crime, sans que l’horreur que l’un excite empêchât jamais de rire de l’autre. Par cet art heureux de mêler la plaisanterie à l’éloquence, ses lettres devinrent le livre de tous les états, de tous les esprits, de tous les âges. Les jésuites furent immolés à la risée de tous ceux qui savaient lire.

Toute puissance fondée sur l’opinion est perdue sans ressource, dès l’instant où l’on a pu s’en moquer publiquement, et quelques bonnes plaisanteries peuvent briser les pieds d’argile du colosse le plus effrayant ; mais sa chute peut être lente [1]. Tel fut l’effet des Provinciales. Si, cent ans après la mort de Pascal, les jésuites ont été chassés de France, et bientôt détruits dans toute l’Europe, c’est dans les lettres de Pascal que leurs ennemis ont appris à les haïr et à les mépriser, et que ceux

  1. L’auteur aurait pu remarquer que les plaisanteries ne font rien contre la vérité. Celles des Cartésiens n’ont pas empêché la gravitation universelle d’être regardée, par tous les gens instruits, comme une loi de la nature. Celles de Despréaux et de Gui-Patin n’ont point empêché l’usage de l’émétique de s’établir : c’est pour cette raison que, malgré des plaisanteries sans nombre, la religion catholique se soutient toujours dans le même état.