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ÉLOGE DE PASCAL.


sa vie par des terreurs involontaires. On dit que souvent il croyait voir un précipice ouvert à côté de lui. Pascal, ne pouvant ni chercher des ressources dans les sciences, ni trouver de repos en lui-même, n’eut plus d’espoir qu’en la religion. Jamais il n’avait cessé de l’aimer ; et elle fut, dans ses infirmités, sa consolation et son appui.

L’Église de France était alors divisée en deux partis. L’un avait pour chefs les jésuites, et l’autre les hommes de France les plus savants [1]. Le premier était tout-puissant, l’autre était opprimé. C’était celui que Pascal devait préférer ; les chefs de ce parti affectaient de mépriser les sciences humaines, tandis qu’ils étaient avides de passer pour y exceller. Pascal y renonce de bonne foi : mais comme il fallait toujours à ce génie ardent et profond de grands objets et des routes nouvelles, il se proposa d’établir la vérité de la religion, et de l’appuyer sur une connaissance plus approfondie de la nature humaine. Ce projet, qu’il suivit tout le reste de sa vie, ne fut interrompu que par quelques distractions, et nous

  1. Dans la grammaire, dans les langues, dans l’histoire ecclésiastique, dans la théologie, car la France avait alors des hommes bien supérieurs dans les sciences humaines. On aurait dû faire ici une distinction, d’autant plus nécessaire que l’enthousiasme ignorant des jansénistes a souvent mis Nicole et Arnaud à côté de Descartes ou de Pascal ; à la vérité, dans un siècle où l’on attachait tant de prix à la scolastique, les solitaires de Port-Royal pouvaient être regardés comme de grands hommes ; mais la postérité n’a point confirmé ce jugement. L’auteur nous paraît trop favorable aux jansénistes.