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ÉLOGE DE L’HÔPITAL.


sans doute les ennemis du genre humain pouvaient espérer de le tenir enseveli dans les ténèbres, et de lui dérober à jamais la connaissance de ses maux, et surtout celle des remèdes. Ainsi, les tyrans de la Grande-Grèce, en brûlant les sages renfermés dans l’école de Crotone, purent aisément se flatter d’assurer à leurs esclaves une éternelle imbécillité.

Mais à présent que l’invention de l’imprimerie permet à la vérité une circulation rapide que rien ne peut arrêter, et que la vérité une fois découverte ne saurait être anéantie ; à présent que les vrais principes des sciences morales sont dévoilés, que les véritables méthodes sont connues ; à présent que la voix de la raison s’est fait entendre des glaces de Pétersbourg aux mers de Philadelphie, et des rochers de la Norwége aux plaines de la Bétique, et que partout elle a réveillé le génie qui dormait depuis tant de siècles ; à présent que les hommes éclairés de toutes les nations se prêtent leurs lumières, ont les mêmes idées, parlent le même langage, sont animés des mêmes intérêts, cette force lente de la vérité, souvent trop faible, mais toujours agissante, l’emportera à la longue sur les obstacles qu’on lui oppose.

L’oppresseur, le corrupteur d’une nation, condamné par toutes les autres, entendra avec une douleur impuissante le jugement prononcé contre lui, et tremblera de le mériter. Les maux que le méchant peut faire encore seront passagers comme lui. Il pourra punir les sages, mais il ne les empêchera pas d’être utiles : il leur ôtera la liberté, la vie ;