Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/550

Cette page n’a pas encore été corrigée
538
ÉLOGE DE L'HÔPITAL.


impossible. L’usage de la vénalité était encore récent, et l’habitude n’avait point familiarisé avec ce scandale une nation où l’amour de l’or n’était pas devenu la passion dominante de tous les ordres, et n’avait pas encore gangrené toutes les âmes au point d’y éteindre tout principe de sentiment et de vie.

Je sais que la vénalité des charges a eu Montesquieu [1] pour apologiste, et que l’autorité d’un grand nom est bien puissante, surtout quand c’est une erreur qu’elle appuie : mais qu’elles sont faibles les raisons par lesquelles il défend ce préjugé !

  1. La vénalité, dit Montesquieu, fait de la magistrature comme un métier de famille. Mais ne serait-ce pas plutôt une raison de la proscrire ? Quel serait donc l’avantage de transformer en métier ces fonctions respectables, de concentrer dans quelques familles des places qu’il est dangereux de confier à quiconque peut avoir d’autres intérêts que ceux de la patrie ?

    Le hasard fera de meilleurs choix que le prince. La vénalité ôte-t-elle donc aux ministres, s’ils sont ennemis du peuple, les moyens d’écarter les gens de bien ou d’introduire leurs créatures ? Leur ôte-t-elle les moyens de corrompre ? Eh ! qu’importe la facilité d’introduire dans les tribunaux des hommes déjà vendus, si, dans un corps d’hommes rassemblés au hasard, on est sûr d’en trouver toujours assez qui veuillent se vendre !

    L’espérance de s’élever aux magistratures excite l’industrie des classes inférieures. Mais la véritable récompense de l’industrie est la fortune. Les magistratures devraient être le prix des lumières et de la probité des jurisconsultes, et non le prix des richesses acquises dans le commerce ou dans la finance.

    Comment Montesquieu a-t-il pu cette fois être égaré par ces petites vues d’une politique subtile et fausse, que jadis on regardait comme le secret de l’art de gouverner, et que lui-même nous a instruit à mépriser ?