franchise de son caractère ne lui eût pas permis
d’en cacher les mouvements. Mais cette gloire dont
il s’occupait si peu vint le chercher. La fécondité
singulière de son génie frappait même ceux qui
n’étaient pas en état d’entendre ses ouvrages. Quoique
uniquement livré à la géométrie, sa réputation
s’étendit parmi les hommes les plus étrangers à
cette science ; et il fut pour l’Europe entière non-seulement un grand géomètre, mais un grand
homme. Il est d’usage, en Russie, d’accorder des
titres militaires à des hommes très-étrangers
au service ; c’est rendre hommage au préjugé qui faisait
regarder cet état comme la seule profession noble,
et avouer en même temps qu’on en reconnaît toute
la fausseté : quelques savants ont obtenu jusqu’au
grade de général-major ; M. Euler n’en eut et n’en
voulait avoir aucun : mais quel titre pouvait honorer
le nom d’Euler ? Et alors le respect pour la
conservation des droits naturels de l’homme impose,
en quelque sorte, le devoir de donner l’exemple
d’une sage indifférence pour ces hochets de la vanité
humaine, si puérils, mais si dangereux.
La plupart des princes du Nord, dont il était personnellement connu, lui ont donné des marques de leur estime, ou plutôt de la vénération qu’on ne pouvait refuser à la réunion d’une vertu si simple, et d’un génie si vaste et si élevé. Dans le voyage que le prince royal de Prusse fit à Pétersbourg, il prévint la visite de M. Euler, et passa quelques heures à côté du lit de cet illustre vieillard, ayant ses mains dans les siennes, et tenant sur ses genoux un petit-fils