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ÉLOGE DE TURGOT.


on ne peut réparer le défaut que par ces grandes qualités qui commandent l’estime.

Dans une vie qui n’avait été troublée que par un seul orage, où il avait connu les plaisirs de l’amitié et de la nature comme ceux de l’étude, il plaça toujours au premier rang des biens que le sort lui avait donnés, le bonheur d’être lié, par l’amitié comme par le sang, à un de ces hommes supérieurs que le sort accorde si rarement à la terre, et dont leurs contemporains sentent encore plus rarement tout le prix. Il respectait, il aimait dans son frère la vertu la plus courageuse, unie à la plus douce sensibilité ; un caractère indulgent dans l’amitié, inflexible dans les intérêts publics, et cette passion de la justice et du bonheur des hommes, qui élève l’âme au-dessus de l’opinion et dissipe les préjugés, parce qu’elle apprend à les envisager sans intérêt et sans crainte. Plus âgé de quelques années que son frère, Turgot avait vu se développer en lui cette intelligence vaste et profonde à laquelle rien n’échappait, et qui pénétrait toujours au delà de ce que les autres avaient saisi. Il avait vu cette âme sensible et pure s’élever aux grandes vertus par la force de sa raison et de sa conscience, comme par l’habitude de l’amitié et la pratique des devoirs de la vie privée. Il lavait suivi dans ses travaux politiques, lorsqu’il formait dans le silence ce système qui fondait sur quelques vérités simples, sur quelques principes dictés par la raison et par la justice, l’édifice entier des sciences politiques. Il le vit ensuite, dans un court ministère, tourmenté par la maladie, persécuté par