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ÉLOGE DE FOURCROY.

les unissait, ne pouvait laisser à leurs cœurs la liberté d’un autre choix. Tous deux sans fortune, contents de s’aimer toujours et de se voir quelquefois, attendirent le moment où la raison leur permettrait de s’unir. Sûrs, chacun de soi-même, comme ils l’étaient l’un de l’autre, quatorze ans se passèrent sans inquiétude, sans autre chagrin que celui de l’absence. Après leur mariage, le bonheur n’affaiblit pas leur passion, comme le sacrifice qu’ils en avaient fait à la raison n’avait pas troublé la paix de leur âme.

Rapprochés par les mêmes opinions, toutes leurs pensées étaient communes comme tous leurs sentiments. Également séparés du monde par la simplicité de leurs goûts et par la pureté de leurs principes, ils trouvaient réciproquement dans leur estime le seul soutien et le seul prix dont leur vertu eût besoin. Chaque jour, ils goûtaient le charme de cette convenance intime des âmes, et chaque jour le voyait se renouveler. La diversité de leurs caractères, qui offrait le piquant contraste de l’inflexibilité et de la douceur, ne servait qu’à leur faire reconnaître combien la sympathie de leurs cœurs était puissante. Aussi différents du reste des hommes par leur amour que par leurs vertus, le temps qui, presque toujours, ne nous conduit au bonheur que pour nous en éloigner ensuite, semblait l’avoir fixé auprès d’eux. Peut-être n’existe-t-il aucun autre exemple d’un sentiment qui ait duré soixante-dix ans, toujours tendre, toujours le premier, l’unique même (car celui qu’ils avaient pour