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ÉLOGE DE FOURCROY.

et ses grands succès, n’avait point été un ingénieur médiocre, on n’a pas du être étonné que cette opinion parût une espèce de blasphème à Fourcroy. Accoutumé dès son enfance à respecter le nom de Vauban, il était entré au service dans un moment où la mémoire récente de ses talents, de ses vertus, excitait l’enthousiasme, où son nom était cité parmi ceux dont les actions avaient honoré un siècle de gloire, tandis que ses mœurs et son patriotisme en accusaient la corruption et la basse servitude. Cependant, ni l’esprit de corps ni son admiration pour un grand homme, ne purent le rendre injuste ; l’Académie a souvent été témoin de ces discussions, et elle a vu sans surprise Fourcroy n’y paraître que comme un ami de la vérité.

Une vie si occupée était consolée et embellie par un sentiment qui, né dans ses premières années, ne s’éteignit qu’avec lui. La fille de M. Le Maistre, ami de son père, comme lui avocat célèbre, habitant la maison voisine de la sienne, fut la compagne des jeux de son enfance, et, dès ce moment, il l’avait choisie pour être celle de toute sa vie. Tandis que Fourcroy s’instruisait sous des maîtres habiles à se rendre utile à son pays par ses travaux et ses lumières, Mlle Le Maistre apprenait auprès d’une mère pieuse et charitable à secourir, à consoler, à soigner l’humanité souffrante. Chaque année les vacances réunissaient les deux jeunes amis, et leurs âmes s’entendaient, se répondaient comme s’ils ne s’étaient point quittés. A l’âge où l’on éprouve le besoin d’un sentiment plus vif, l’amitié tendre qui