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ÉLOGE DE FOURCROY.

Destiné au barreau comme à une profession héréditaire, son goût l’entraînait vers les sciences. Mais il fallait trouver un moyen de s’y livrer sans affliger, même pour un moment, le cœur de son père. Il s’occupa secrètement d’acquérir les connaissances nécessaires à un ingénieur, et prit, pour s’assurer de ses progrès, tous les moyens que la défiance de soi-même peut inspirer. Enfin, quand il ne resta plus de prétextes à sa modestie, il osa demander la permission d’entrer dans le corps du génie. Son père lui objecta la longueur des nouvelles études qu’il serait obligé de faire, et l’incertitude de leur succès. Je suis prêt, lui répondit le jeune homme, vous pouvez me faire examiner, et si le jugement est défavorable, je renonce à mon projet.

On n’exigeait point alors de certificat de noblesse pour entrer dans le service. Peut-être paraîtra-t-il singulier que les progrès de l’asservissement à un préjugé qui, bientôt après, osa ériger en loi cet outrage à la raison, aient suivi parmi nous ceux que, grâce à la philosophie, l’opinion publique faisait dans un sens contraire. Mais l’orgueil croyait retarder le jour de la raison, et il ne faisait qu’accélérer celui de la vengeance. Il est des temps où, semblable à un fleuve impétueux, la vérité, longtemps contenue, s’élance tout à coup du sein des préjugés. Ceux qui craignent son passage, peuvent, sans doute, diriger sa course, lui préparer une route où il puisse, développant sans obstacle des eaux bienfaisantes et salutaires, répandre la richesse et le bonheur sur le rivage qu’il embellit et qu’il féconde.