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ÉLOGE DE FRANKLIN.


par un apologue, par un conte, par une anecdote, décidant des questions que l’orgueil d’une discussion sérieuse aurait obscurcies. Chargé de demander l’abolition de l’usage insultant d’envoyer les malfaiteurs dans les colonies, le ministre lui alléguait la nécessité d’en délivrer l’Angleterre. Que diriez-vous, répondit-il, si nous ordonnions l’exportation des serpents à sonnettes [1].

Franklin ne s’était pas formé un système général de politique ; il examinait les questions à mesure que l’ordre des événements ou sa prévoyance les présentaient à son esprit, et il les résolvait avec les principes qu’il puisait dans une âme pure et dans un esprit juste et fin. En général, il paraissait ne pas chercher à donner, d’une seule fois, aux institutions humaines, le plus grand degré de perfection, il croyait plus sur de l’attendre du temps ; il ne s’obstinait pas à combattre de front les abus ; il trouvait plus prudent d’attaquer d’abord les erreurs qui en sont la source. Il avait, en politique comme en morale, cette sorte d’indulgence qui exige peu, parce qu’elle espère beaucoup, et qui pardonne au présent en faveur de l’avenir ; il proposait toujours les mesures les plus propres à conserver la paix, parce qu’elle ne livre ni le bonheur des hommes aux hasards des événements, ni la vérité aux intérêts de parti. Il préférait le bien qu’on obtient de la raison à celui qu’on attend de l’enthousiasme, parce qu’il

  1. Je lui ai entendu raconter ce trait, qui a été ridiculement défiguré dans quelques-uns de nos journaux.