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ÉLOGE DE FRANKLIN.


La France et l’Espagne n’avaient pu oublier la hauteur avec laquelle l’Angleterre avait abusé de ses dernières victoires. Gibraltar et l’inutile commissaire de Dunkerque, que l’orgueil seul avait conservé, étaient un éternel aliment de haine.

Depuis longtemps la Hollande voyait avec une douleur impuissante les Anglais vendre leur protection à l’ennemi de sa liberté, pour qu’il leur facilitât les moyens d’opprimer son commerce. Se croyant inaccessibles dans leur île, et fiers de cet empire de la mer qu’ils croyaient éternel, ils s’en étaient rendus les tyrans, et il n’existait aucune puissance de l’Europe qu’ils n’eussent ou vexée dans son commerce, ou offensée par des hauteurs. On devait prévoir que les unes saisiraient l’occasion d’abaisser la puissance anglaise, et que les autres se contenteraient d’applaudir en secret à ses pertes. Cependant, la France obérée, gouvernée par des ministres faibles, retenue par le souvenir de ses derniers désastres, pouvait craindre de voir altérer la paix nécessaire à son rétablissement. L’Espagne, qui possède dans l’Amérique méridionale un empire plus vaste, plus riche, plus heureusement situé que les colonies anglaises, pouvait redouter pour elle-même l’exemple contagieux de l’indépendance. Le parti de l’Angleterre dominait encore en Hollande, et les Américains n’avaient fait que d’inutiles tentatives, n’avaient recueilli que des vœux incertains et timides, lorsque le congrès chargea Franklin de négocier auprès de la France.

C’était le seul homme de l’Amérique qui eût alors