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ÉLOGE DE FRANKLIN.


pre, mais qu’ils n’ont pu civiliser, avaient été depuis longtemps l’objet de sa curiosité et de ses observations. En les comparant avec les nations de l’Europe, il voyait jusqu’à quel point les progrès de la société avaient affaibli les facultés physiques de l’homme, et agrandi son intelligence ; comment les institutions sociales nous avaient tantôt corrompus, tantôt perfectionnés ; ce que nous leur devions de vertus et de vices ; par quel intervalle immense les prodiges des arts, les efforts de la raison nous séparaient de ces hommes voisins de la nature ; tandis que, si on mettait seulement dans la balance nos progrès vers la liberté, vers le bonheur, vers la vertu, on trouverait bien faibles les avantages que nous avons achetés par cette longue suite de crimes et de malheurs qui ont accompagné notre marche jusqu’ici si incertaine et si turbulente. En comparant la vie du sauvage à celle de l’habitant des campagnes, il trouvait que nous avons fait beaucoup pour la classe des hommes à qui les lumières ne sont pas étrangères, mais encore bien peu pour la généralité de l’espèce humaine ; et que si l’homme vertueux, qui exerce sa raison, est supérieur à l’habitant des forêts de l’Ohio, l’homme vulgaire n’a fait souvent que changer la férocité du sauvage contre des vices avilissants, et son ignorance contre des préjugés.

Plus d’une fois il s’est plu dans ses ouvrages à opposer le bon sens naïf des Indiens à l’orgueilleuse raison des hommes civilisés, leur calme inaltérable et leur indifférence profonde aux passions qui nous