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ÉLOGE DE FRANKLIN.


profondes racines dans un pays que la persécution avait peuplé. Ces sentiments d’une bienveillance universelle, qui entrent si aisément dans des âmes douces et pures ; ces maximes d’une vérité simple, que le bon sens ne rejette pas, lorsqu’il n’est point corrompu par une fausse doctrine, conduisaient peu à peu à l’indulgence et à la raison, et du moins réduisaient à l’impuissance de nuire un ennemi qu’il eût été imprudent d’attaquer de front. Ainsi, à la même époque, dans les deux parties du globe, la philosophie vengeait l’espèce humaine du tyran qui l’avait longtemps opprimée et avilie ; mais elle combattait avec des armes différentes. Dans l’une, le fanatisme était une erreur des individus ; fruit malheureux de leur éducation et de leurs lectures. Il suffisait de les éclairer, de dissiper les fantômes d’une imagination égarée. C’étaient surtout les fanatiques eux-mêmes qu’il fallait guérir. Dans l’autre, où le fanatisme, guidé par la politique, avait fondé sur l’erreur un système de domination, où, lié à toutes les espèces de tyrannie, il leur avait promis d’aveugler les hommes, pour qu’elles lui permissent de les opprimer, il était nécessaire de soulever l’opinion, et de réunir contre une puissance dangereuse les efforts des amis de la raison et de la liberté. Il n’y s’agissait pas d’éclairer les fanatiques, mais de les démasquer et de les désarmer. L’on peut ajouter à ce rapprochement unique dans l’histoire de la philosophie, que les deux hommes qui avaient séparément conçu ce projet salutaire, Voltaire et Franklin, ont pu se réunir à Paris dans leur vieil-