Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/39

Cette page n’a pas encore été corrigée
27
ÉLOGE DE M. EULER.


joindrait à une vaste étendue de connaissances la sagacité la plus rare.

D’ailleurs, peut-être ne faudrait-il pas le louer de cette candeur, quand même elle lui aurait coûté un peu de sa gloire : les hommes d’un grand génie ont rarement ces petites ruses de l’amour-propre, qui ne servent qu’à rapetisser aux yeux des juges éclairés ceux qu’elles agrandissent dans l’opinion de la multitude ; soit que l’homme de génie sente qu’il ne sera jamais plus grand qu’en se montrant tel qu’il est, soit que l’opinion n’ait pas sur lui cet empire qu’elle exerce avec tant de tyrannie sur les autres hommes.

Lorsqu’on lit la vie d’un grand homme, soit conviction de l’imperfection attachée à la faiblesse humaine, soit que la justice dont nous sommes capables ne puisse atteindre jusqu’à reconnaître dans nos semblables une supériorité dont rien ne nous console, soit enfin que l’idée de la perfection dans un autre nous blesse ou nous humilie encore plus que celle de la grandeur, il semble qu’on a besoin de trouver un endroit faible ; on cherche quelque défaut qui puisse nous relever à nos propres yeux, et l’on est involontairement porté à se défier de la sincérité de l’écrivain, s’il ne nous montre pas cet endroit faible, s’il ne soulève point le voile importun dont ces défauts sont couverts.

M. Euler paraissait quelquefois ne s’occuper que du plaisir de calculer, et regarder le point de mécanique ou de physique qu’il examinait, seulement comme une occasion d’exercer son génie et de se