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ÉLOGE DE FRANKLIN.


blia une gazette qu’il soutenait, lorsque les nouvelles lui manquaient, par des morceaux où la morale était presque toujours présentée sous la forme d’apologue ; où la raison était animée par une plaisanterie douce et naïve ; où la philosophie, sans cesser d’être à la portée des hommes simples, pour qui elle était destinée, se trouvait au niveau de celle de l’Europe. C’était le Spectateur, mais avec plus de naturel, de simplicité et de grâce, avec un but plus vaste et surtout plus utile. Au lieu de l’espérance incertaine de corriger quelques-uns des vices d’un peuple corrompu par la richesse et l’inégalité, c’était celle de rectifier les idées, d’épurer et d’agrandir les vertus d’un peuple naissant. Plusieurs des morceaux imprimés alors par Franklin ont été conservés ; il en est quelques-uns que Voltaire et Montesquieu n’auraient pas désavoués.

Jamais il ne permit que cette gazette fût souillée par des inculpations personnelles. Ce moyen facile d’attirer la haine populaire sur ceux à qui l’on veut nuire, lui paraissait aussi vil que dangereux. Il n’y voyait qu’une arme perfide, dont les hypocrites et les factieux se servent avec adresse pour appeler la défiance sur les talents et sur les vertus, rendre incertaines toutes les réputations, détruire l’autorité de la renommée, guide si nécessaire à un peuple encore peu éclairé qui se prépare ou naît à la liberté, et livrer ainsi la confiance publique aux obscurs intrigants qui sauront la surprendre.

Il publiait en même temps un almanach qu’il cherchait à rendre utile par un petit nombre de