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ÉLOGE DE M. BOUVART.

Quelques heures de sommeil et environ une heure pour un seul repas, étaient tout ce que M. Bouvart accordait à la nature, et dérobait, soit aux fatigues de la pratique, soit au travail du cabinet. Il soutint cette manière de vivre jusqu’à près de soixante-dix ans : à cette époque, il sentit ses facultés s’affaiblir, il perdit peu à peu la mémoire, surtout celle des choses récentes ; sa raison, toujours saine, était plus faible. Il jugea son état comme il aurait jugé celui d’un autre : Ma carrière est finie, disait-il, je n’ai plus rien à désirer que le courage de souffrir. Bientôt les infirmités suivirent cet affaiblissement ; elles furent accompagnées de quelques maladies pour lesquelles ses amis lui proposaient des remèdes ; il les refusa : Je n'ai aimé la vie, leur disait-il, qu’autant que j’ai pu la rendre utile : des remèdes que la nature n’a plus la force de seconder fatigueraient mon existence et ne la prolongeraient que pour la douleur. Le passé n’existe plus pour moi, le présent n’est qu’un point, l’avenir seul doit, m’occuper.

Une courte fièvre termina sa vie et ses souffrances le 19 janvier 1787. Sa perte eût excité des regrets plus vifs, si ses longues infirmités n’eussent forcé d’avance ses malades à chercher d’autres secours ; mais il ne pouvait plus faire couler que les larmes de la reconnaissance. Quelques-uns des principes qu’il suivait dans le traitement des maladies seront encore longtemps utiles, ne fût-ce que pour nous préserver de tomber dans l’excès d’une médecine trop oisive, qui, sous prétexte de ne pas contrarier la nature, n’ose employer les remèdes, comme si ces mêmes