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ÉLOGE DE M. BOUVART.


teindre les querelles sur l’inoculation, et sans avoir changé d’opinion, convaincu de l’inutilité de chercher à faire des prosélytes dans la disposition actuelle des esprits, il avait cessé de s’opposer au torrent, et avait embrassé la dernière consolation de ceux qui ont combattu inutilement des nouveautés, l’espérance de les voir passer de mode.

M. Bouvart possédait un avantage qui n’accompagne pas toujours ni les connaissances très-étendues, ni la célébrité dans des arts importants et difficiles, celui d’avoir beaucoup d’esprit. Il s’exprimait presque toujours avec une causticité que la froideur de son ton et la douceur de sa voix rendaient plus piquante. Sa censure s’exerçait sur tous les objets, mais elle épargnait encore moins les gens en place que ses confrères, et les charlatans en politique, que les charlatans en médecine. Indépendant quant à la fortune, il profitait de l’avantage qu’a un médecin très-employé, de ne pas craindre la vengeance que les hommes puissants se permettent trop souvent d’exercer contre ceux qui osent user du droit qu’a tout citoyen de les juger. Il savait qu’on n’oserait s’exposer au ressentiment d’un grand nombre de malades, en éloignant d’eux ou en privant de la liberté le médecin à la présence duquel ils croyaient leur existence attachée ; ainsi, dans plus d’un genre, les talents savent se créer un empire que la force même est obligée de respecter. Père tendre, ami constant et sûr, ayant dans son âme le sentiment qui fait aimer, et l’ayant avec toutes ses délicatesses ; sévère dans sa probité, implacable dans sa haine contre la bassesse et l’envie,