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ÉLOGE DE M. DE PRASLIN.


bition, il n’avait pas même l’idée de s’ouvrir une autre carrière.

Alors cette même habitude de l’application, qu’il n’avait encore regardée que comme un des moyens de se rendre plus capable d’agir, devint sa ressource contre l’ennui d’une oisiveté forcée ; car tel est l’avantage inappréciable de l’étude, que, lors même qu’elle devient inutile au but qu’on s’était proposé en s’y livrant, elle sert encore à nous consoler de l’avoir manqué. Borné à la société d’un petit nombre d’amis, se répandant peu dans le monde, M. de Praslin employait, à orner et à fortifier sa raison, le temps où ses maux lui permettaient quelque application. Le goût des sciences, beaucoup plus rare parmi les gens de la cour qu’il ne l’est aujourd’hui, son amour de la retraite, des idées de tolérance et de liberté qui n’étaient pas encore devenues communes et populaires, lui donnèrent la réputation d’un homme d’esprit, d’un homme éclairé, même celle d’être un philosophe ; et cette dernière réputation n’était pas alors dangereuse. On disait que M. le comte de Choiseul (c’était le nom qu’il portait) serait capable des grandes places ; et on le disait d’autant plus volontiers, qu’on était plus sûr qu’il n’en recherchait, qu’il n’en désirait aucune. Les ambitieux eux-mêmes lui rendaient avec plaisir ce témoignage, qui ne les exposait à aucun risque, et se faisaient honneur d’une équité qui ne pouvait nuire à leurs projets. Cependant M. le duc de Choiseul, son parent et son ami, fut appelé, en 1758, au ministère des affaires étrangères, et laissa vacante la