ler, lié à ce séjour par une chaîne qu’il ne pouvait plus rompre : peut-être doit-on à cette circonstance de sa vie cette opiniâtreté pour le travail dont il prit alors l’habitude, et qui devint son unique ressource dans une capitale où l’on ne trouvait plus que des satellites, ou des ennemis du ministre, les uns occupés de flatter ses soupçons, les autres de s’y dérober.
Cette impression fut si forte sur M. Euler,
qu’il la conservait encore, lorsqu’en 1741, l’année
d’après la chute de Biren, dont la tyrannie fit place
à un gouvernement plus modéré et plus humain, il
quitta Pétersbourg pour se rendre à Berlin, où le
roi de Prusse l’avait appelé. Il fut présenté à la reine
mère : cette princesse se plaisait dans la conversation
des hommes éclairés, et elle les accueillait avec
cette familiarité noble qui annonce dans les princes
les sentiments d’une grandeur personnelle, indépendante
de leurs titres, et qui est devenue un des
caractères de cette famille auguste. Cependant, la
reine de Prusse ne put obtenir de M. Euler que des
monosyllabes ; elle lui reprocha cette timidité, cet
embarras qu’elle croyait ne pas mériter d’inspirer :
Pourquoi ne voulez-vous donc pas me parler, lui
dit-elle ?
Madame, répondit-il, parce que je viens d’un
pays où, quand on parle, on est pendu.
Parvenu au moment de rendre compte des travaux immenses de M. Euler, j’ai senti l’impossibilité d’en suivre les détails, de faire connaître cette foule de découvertes, de méthodes nouvelles, de vues ingénieuses répandues dans plus de trente ouvrages publiés à part, et dans près de sept cents mémoires.